Comment les retraites par points ont appauvri les Suédois
Pour mieux comprendre les conséquences de la réforme des retraites du gouvernement, je voudrais vous éclairer sur la réforme des retraites en Suède, puisque c'est celle qui leur a servi de modèle. Ma source principale est un livre paru en Suède il y a un an, écrit par l’universitaire et retraitée Inga-Lisa Sangregorio: L’Arnaque – comment le nouveau système des retraites nous a tous floués1.
Selon l'autrice, la réforme, même si elle a fait l'objet de longues discussions, a été en fait décidée en toute confidentialité par un petit groupe et votée très vite en 1994 sur ses principes, avant qu'un second vote en 1999 n'entérine les modalités de sa mise en place. L’autrice va jusqu'à parler d'un « putsch ». Depuis sa mise en place progressive entre 2001 et 2018, le nombre de retraités dont les revenus se situent en dessous du seuil de pauvreté de l'Union européenne a plus que doublé en Suède. L’autrice, 84 ans, a elle-même travaillé à plein temps et bien au-delà de 65 ans, mais elle ne touche qu'une pension en dessous du seuil de pauvreté.
Dans une interview, elle raconte qu'en écrivant le livre, elle s'est aperçue que le législateur avait aussi eu l’ambition d’éduquer moralement le peuple suédois : « On voulait nous inculquer qu’il nous fallait travailler à plein temps et toute la vie. Tout le monde devait apprendre à acheter des actions, et si on se trompait, eh bien c’était de notre faute. Avec le nouveau système, tous les risques sont pour les retraités et personne ne peut prévoir combien il touchera par mois. » Le nouveau système de retraite a aussi prévu une décote qui fait que plus l'espérance de vie est longue, moins on touche de pension.
L'idée centrale de la réforme est que le montant de la pension de retraite doit refléter les revenus accumulés sur toute une vie, il n'y a donc plus de calcul sur les meilleures années (les 15 meilleures années jusqu'en 1998). Le système n'entend donc pas prendre en compte pour les compenser les difficultés d’une carrière (précarité, période de chômage, congé de maternité ...). En les répercutant sur la retraite, il entraîne de fait une hausse des inégalités. De plus, l´âge de départ minimum est certes de 61 ans, mais on a le droit de continuer à travailler jusqu'à 67 ans, voire plus tard encore si l'employeur est d'accord. Et ces âges sont voués à être relevés et doivent passer d'ici 2026 à respectivement 64 et 69 ans.
Dans une interview télévisée du 14 novembre 2018 sur TV4 Nyhetsmorgon, Inga-Lisa Sangregorio a été invitée avec l'analyste en chef de la commission des retraites, Ole Zettergren. On entend celui-ci déclarer que « c’est justement cela l’idée de la loi, que le montant de la pension ne suffise pas si on part à 65 ans. Il faut à la fois la carotte et le bâton pour pousser les gens à travailler plus longtemps ».
L'autrice argumente, elle, que la loi ne prend pas du tout en compte les carrières longues ni la pénibilité, ce qu’elle appelle des « différences de classe sociale ». Elle ajoute ensuite que de nombreux employeurs ne veulent pas d’employés vieux. Mais à ce moment-là, les deux journalistes interviennent et lui coupent la parole, protestant qu'il s'agit là d'une toute autre question!
Alors même que les retraites et leur équilibre budgétaire dépendent étroitement de la situation de l’emploi et des conditions de travail, les libéraux suédois, et français aussi, font comme s’il s’agissait de questions séparées. C’est qu’il est en effet plus facile de découper le projet de société qu'ils promeuvent pour faire avancer en douce chaque morceau séparément. Au bout du compte, il y a pourtant bien une cohérence entre toutes ces réformes qui s’attaquent au droit du travail, aux indemnités des chômeurs, et au système de retraite : il s'agit de récompenser ceux dont le système biaisé des libéraux considère qu’ils « ont réussi », et de faire comprendre aux autres par la souffrance et les humiliations qu’ils « ne sont rien ».
Katarina Axelsson
1. Inga-Lisa Sangregorio : Blåsningen, - så har det nya pensionssystemet lurat oss alla. Edition: Karneval, 2018
Photo : Inga-Lisa Sangregorio interviewée à la télévision suédoise, capture d'écran tirée de l'émission.
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