Grèce, les revers du tourisme de masse
Les années se suivent et se ressemblent. Depuis plusieurs années, les chiffres du tourisme en Grèce ne cessent de croître. En 2017, le nombre de touristes a atteint un nouveau record de 30 millions. Des chiffres qui provoquent toujours les hourras des médias et des gouvernements grecs. Mais depuis quelques années, la face négative du prix de ce tourisme de masse commence à apparaître sous différentes formes. Accueillir 3 fois sa population tous les ans entraîne bien évidemment des désagréments, surtout quand la politique économique n'est plus décidée de façon souveraine mais dictée par les intérêts des créanciers privés.
La première des conséquences est le phénomène de saturation. Phénomène connu par de nombreux Français qui habitent dans des lieux touristiques. Mais en Grèce ce phénomène est encore plus important car les lieux visités par ce tourisme de masse sont souvent des îles de taille moyenne voire de petite taille. Mykonos par exemple a une superficie de 105 km2, Corfou de 585 et Santorini de 76. En comparaison, la Corse représente une superficie de 8 680 km2. Pendant les périodes de haute saison, ces espaces sont soumis à une densité record.
Les littoraux font face bien évidemment à la demande la plus importante. La capacité du parc immobilier y est augmentée d'année en année, entraînant une dégradation du paysage côtier. Cela augmente aussi la concurrence entre établissements et pose à beaucoup d'entre eux des problèmes de rentabilité. L'offre AirBnb ajoute encore une concurrence d’usage du parc immobilier qui accroît les prix d’un marché immobilier déjà problématique pour les populations.
La pression du marché a pour conséquence la destruction de ce qui reste comme droit du travail après une décennie de crise. Les saisonniers qui, le reste de l'année, ne trouvent pas d'emploi dans un pays où le taux de chômage s'élève à 21%, acceptent des conditions de travail rappelant celles de la fin du XIXe siècle. Journées de 14 heures sans pause dans des chaleurs étouffantes, heures supplémentaires non payées, sont le quotidien de milliers de Grecs. Derrière le luxe des grands hôtels agrémentés de belles piscines se cachent également des logements ressemblant à ceux des bidonvilles. Les saisonniers sont entassés dans des tentes ou des containers sans eau courante ni toilettes. Le « développement » du tourisme se fait à un coût humain terrible. Le nombre de burn-out et d’accidents du travail explose sous la pression de ces millions de touristes dont la Grèce aurait tant besoin pour rembourser la dette. Le président de la Fédération grecque des associations des inspecteurs du travail (Posepe), Kleanthis Chatzinikolaidis, rapporte que parmi les secteurs les plus dangereux en matière d’accidents du travail, on compte l'industrie alimentaire et les hôtels. Entre 2009 et 2016 on observe une augmentation d'environ 5,5% par an d’accidents du travail dans ces secteurs. L'augmentation du parc hôtelier, ajoutée aux coupes drastiques dans le budget de l’État, entraîne une diminution des contrôles et une augmentation des accidents sur les chantiers. Kleanthis Chatzinikolaidis déclare : « En 2013, les accidents mortels étaient au nombre de 65 ; en 2014 de 63 ; en 2015 de 67 ; en 2016 de 73. Une augmentation d'environ 10 % chaque année, à l'exception d'une légère baisse en 2014. »
Les trois causes principales des accidents sont les chutes, l'électrocution et les causes pathologiques (problèmes cardiaques par exemple).
Par ailleurs, les touristes doivent bien être acheminés sur les magnifiques plages de Grèce. Les gouvernements ont donc décidé de privatiser toutes les infrastructures pour permettre de renflouer une part infime de la dette qui n'a par ailleurs jamais réellement diminué. Les routes sont donc devenues payantes. Alors que la misère ne cesse d'augmenter, les Grecs vont devoir payer leur passage sur les routes pour se rendre sur leur lieu de travail. Les trains passeront sous pavillon italien, alors que c'est une entreprise allemande qui a remporté l'acquisition juteuse, à des conditions sociales et financières pour le moins discutables, de nombreux aéroports. Tous ces axes sont soumis pendant des mois à une utilisation effrénée qui entraîne une augmentation de la pollution et une dégradation du matériel et des infrastructures. Les mois de surcharge sont suivis par des mois de vide et par la diminution des services de transports.
Le tourisme de masse a également pour conséquence la nette augmentation des déchets. Dans de nombreuses îles, c'est à une véritable crise sanitaire que les autorités font face. À Corfou, l'île doit trouver de nouveaux espaces pour enfouir 67 000 tonnes de déchets par an. L'île reçoit 1,5 million de touristes et les mesures austéritaires sur l’ensemble du pays entraînent une baisse de moyens des services publics. Les espaces sont saturés entre établissements hôteliers, routes, aéroports, plages... L'Association des agents de voyages britanniques, les opérateurs et les hôteliers demandent aux autorités de prendre les mesures nécessaires, alors que certains touristes préfèrent raccourcir leurs vacances dans certaines situations. Les coupes budgétaires ont comme premier objectif d’autoriser le remboursement des créanciers au niveau national, en face de quoi on constate que le recyclage sur l'île de Corfou, qui devrait être une priorité, ne concerne que 5 % des déchets produits, loin des objectifs de 65 % fixés par l'Union européenne... Certains objectifs comptables semblent être plus prioritaires que certains objectifs environnementaux.
La dernière des conséquences de ce tourisme de masse est la flambée des prix. Loyers, essence, alimentation augmentent durant les mois d'activité touristique. Les Grecs se retrouvent traités comme des citoyens de seconde zone dans leur propre pays.
Après 4 mémorandums en 10 ans, l'augmentation du tourisme en Grèce est perçue par la majorité des journalistes économiques comme un aspect positif. Alors que la dette reste un fardeau, que les taux de pauvreté et de chômage continuent d'augmenter, l'obéissance aux dogmes du libre-échange et de l’ordolibéralisme allemand se paie à des coûts humains et environnementaux inacceptables, sans donner une quelconque perspective de sortie d'une crise qui ne cesse de s'éterniser.
Jérôme Chakaryan-Bachelier
L'auteur remercie le travail de Constant Kaimakis et sa collaboration précieuse à la rédaction de cet article. La page Facebook de Constant Kaimakis permet de suivre l’actualité de ce qu’endure le peuple grec, et de s’informer sur la situation sociale du pays.
Photo : Andrzej Szkopiński (Wikimedia Commons).
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